Le contact interdialectal dans l’histoire sociolinguistique du français acadien

Notre projet de recherche traite des questions qui sont au centre des études sur les mécanismes à l’origine des changements en cours dans la langue. Nous abordons la problématique des mouvements de population qui entrainent un brassage linguistique pouvant mener à la formation de nouvelles variétés pour une même langue. Au départ, la rencontre entre locuteurs de variétés différentes (par la colonisation,  l’urbanisation, etc.) aura pour conséquence d’augmenter l’hétérogénéité linguistique. Toutefois, à plus longue échéance, les échanges quotidiens viendront atténuer les différences; si la langue des adultes devient plus homogène, celle de leurs enfants et des générations subséquentes, représente une variété nouvelle. Nos questions de recherche sont les suivantes : Comment les différentes proportions de locuteurs de variétés différentes influencent-elles le résultat du brassage linguistique? Quels mécanismes sont impliqués dans le traitement de l’hétérogénéité linguistique par le locuteur? Quel est le rôle des formes saillantes et usages marqués dans l’adoption d’une nouvelle norme linguistique? De manière plus générale, quels sont les facteurs qui déterminent l’issue du contact interdialectal et, par extension, celle du changement linguistique?

Les conséquences du contact entre variétés d’une même langue sont souvent utilisées comme argument ad hoc. En effet, en présence d’un trait linguistique dont la réalisation diffère d’une variété à une autre, on cherchera dans le passé une explication sociohistorique ou linguistique. Notre recherche, par contraste, compare de manière systématique l’usage de la langue à deux étapes de son développement dans cinq variétés de français acadien. Bien qu’elles aient un ancêtre commun, l’histoire du peuplement de ces variétés diffère considérablement : l’une d’entre elle est restée isolée pendant plusieurs siècles, trois autres possèdent des liens historiques qui se croisent à plusieurs reprises et la dernière a connu un peuplement linguistiquement plus homogène que les autres. Ces variétés sont parlées dans de petites communautés francophones, souvent minoritaires, de l’est du Canada soit, Grosses-Coques et Chéticamp en Nouvelle-Écosse, Iles de la Madeleine au Québec, Stephenville et L’Anse-à-Canards à Terre-Neuve-Labrador.

Les objectifs théoriques de cette étude sont a) identifier la variation intra et inter variétés sous l’éclairage du contact interdialectal; b) accroitre notre connaissance des différences et similitudes entre ces variétés; c) contribuer à la compréhension des causes et des mécanismes du changement linguistique dans l’histoire de ces variétés et, dans les situations de contact interdialectal en général. En outre, notre projet aura aussi des retombées à l’extérieur du monde académique. Les données sur lesquelles reposent nos analyses – des corpus de langue orale tirés de documents d’archives et d’entrevues sociolinguistiques comprenant des locuteurs nés à la fin du XIXe et au début du XXe siècle – constituent une source d’information inestimable sur la vie des Acadiens à l’époque. Nous avons eu accès à ces données grâce à des partenariats impliquant musées, centres d’archives ou culturels et par la collaboration des personnes âgées aux entrevues. Des activités conjointes avec les institutions et regroupements communautaires permettront aux populations locales d’accéder, en retour, à ces témoignages historiques du mode de vie et du patrimoine culturel immatériel dont fait partie la langue. 

Ce projet de recherche est financé par une Subventions Savoir 2013–2019 du CRSH.
La chercheure principale est Ruth King, les cochercheurs sont Philip Comeau et Carmen L. LeBlanc et Gary R. Butler est collaborateur.